Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, livre sa version de la crise. Il estime que l’euro reste "une monnaie très crédible"
L'euro est-il en danger ?
Jean-Claude Trichet : L'euro est une monnaie très crédible qui garde sa valeur. Depuis sa mise en place il y a onze ans et demi, l'inflation annuelle moyenne a été inférieure à 2 % et proche de 2 %, conformément à notre définition de stabilité de prix. Cette capacité de préserver sa valeur est un élément capital pour la confiance des investisseurs domestiques et étrangers.
Quel est donc le problème ?
La question est celle de la stabilité financière au sein de la zone euro du fait de mauvaises politiques budgétaires dans certains pays, tout particulièrement en Grèce. Ceci doit être impérativement corrigé. Les responsabilités propres à chacun des pays concernés sont la cause première.
Mais il y a aussi une vraie responsabilité collégiale. La surveillance multilatérale, attentive, qui est fondamentale dans la lettre et dans l'esprit du pacte de stabilité et de croissance, a été terriblement négligée. Cela n'est pas tellement étonnant puisqu'il y a eu malheureusement, en 2004 et 2005, une critique radicale de ce pacte, y compris de la part des grands pays comme l'Allemagne, la France ou l'Italie. Ils ont donné un très mauvais exemple à la fois en tant que gestionnaires et responsables de leur propre politique budgétaire, et en tant que membres de l'Eurogroupe, et donc acteurs essentiels de la surveillance de la situation budgétaire de chaque pays.
Toute l'équipe monétaire d'Europe avec la BCE, en France, Christian Noyer et la Banque de France, s'était opposée à ces tentatives de démantèlement du pacte de stabilité. Le démantèlement de la lettre du pacte a été évité, mais son application en a énormément souffert.
On évoque parfois une sorte de complot anglo-saxon contre l'euro. Une telle thèse est-elle crédible ?
Non. Il faut se méfier de toutes les théories de complot. Je crois simplement que certains investisseurs internationaux peinent à comprendre l'Europe et ses mécanismes de décisions. Ils ont du mal à prendre la mesure de la dimension historique de la construction européenne et à anticiper la capacité des Européens à prendre des décisions aussi importantes que celles qui ont été prises il y a quelques jours.
Ceci dit, la complaisance n'est pas de mise : nous avons des problèmes très sérieux et il faut en tirer toutes les leçons. La surveillance des politiques budgétaires, des évolutions de la compétitivité des économies de la zone euro et des réformes structurelles doit être radicalement améliorée. Nous sommes une fédération monétaire.
Nous avons maintenant besoin d'avoir l'équivalent d'une fédération budgétaire en termes de contrôle et de surveillance de l'application des politiques en matière de finance publique.
Les plans d'austérité se multiplient en Europe, mais certains économistes mettent en garde contre un excès de zèle néfaste pour la croissance…
Quand un ménage dépense systématiquement plus que ce qu'il gagne et voit son endettement croître exponentiellement, sa situation est évidemment intenable. Corriger cela est une attitude de sagesse et de bon sens.
Pour un pays aussi, revenir à une situation budgétaire soutenable dans le moyen terme est une question de sagesse et bon sens. Il y a un vrai problème sémantique. J'appelle plans de retour progressif à la sagesse budgétaire, ce que vous appelez plans d'austérité.
En tout état de cause, ces politiques de sagesse sont favorables à la croissance puisqu'elles renforcent la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs. Et la confiance est, je l'ai dit, aujourd'hui essentielle pour la reprise.